historien maritime, journaliste, poète et conteur (1920-1987)

historien maritime, journaliste, poète et conteur (1920-1987)
portrait du 19 mai 1946 réalisé par sa sœur Geneviève, surnommée Vève

jeudi 23 décembre 2010

Robert de la Croix: La Mer, toujours recommencée de Jean Mabire, semaine du 22 au 28 juillet 1993.


Une rue à Lorient, sa ville natale, un prix littéraire décerné chaque année en juillet, lors du salon du Livre maritime de Concarneau, une très active société d'amis fidèles et l'influence de nombre de ses livres, tout cela contribue à maintenir la présence de Robert de la Croix vivante parmi nous.
Appliquant au récit d'aventure sur tous les océans les meilleurs recettes de ce que l'on peut nommer le journalisme historique, cet ancien officier de la Marine marchande devenu écrivain, s'inscrit dans le sillage de Paul Chack, de Peisson, de Quéffelec ou de Jean Merrien. Sous sa plume, d'innombrables épisodes de l'histoire maritime, de tous les pays et de touts les océans, deviennent de véritables petites nouvelles, dominées par la figure héroïque de quelque grand marin, célèbre ou inconnu, et animées par la confrontation passionnée de l'homme et des éléments, tantôt paisibles et tantôt furieux, mais toujours fascinants.
De cette tragédie aux mille actes divers, il a su créer, tout au long d'une vingtaine de volumes, une fantastique épopée de courage, de l'esprit d'aventure et de ce que l'on nomme, dans le grand métier, "le service de la mer".

Il est des cités qui imposent des vocations. Fils du directeur d'une importante conserverie, Robert de la Croix naît à Lorient le 21 janvier 1921 et se destine très tôt à une carrière maritime.
Pourtant, il va faire la plus grande partie de ses études à Paris, jeune breton de l'émigration hanté par le souvenir constant de sa ville natale et des navires qui ont fait la renommée du grand port de l'Armorique méridonale. Plutôt que la "Royale", il décide de choisir la "Marchande" et passe à Nantes, avec succès, les épreuves de brevet d'officier.
Avoir vingt ans en 1940 peut bousculer bien des carrières. Promu lieutenant, ce jeune officier de marine marchande parvient à embarquer à bord des navires de la Transat. Il va faire deux ou trois voyages sur les côtes africaines au temps où existe encore, dans les convulsions et les incertitudes d'un gigantesque conflit planétaire, une France d'Outremer.
Mais les événements imposent leur loi, et Robert de la Croix ne tarde pas à se retrouver en indisponibilité. Il pose son sac à terre dans cette ville de Nantes qui se souvient toujours d'avoir été la capitale ambitieuse et conquérante, trouvant sa fortune dans les sept mers du globe. Cette ville l'emporte dans ses charmes insolites, presque secrets. A force de parcourir les quais, les ruelles, les passages, les milles dédales d'une cité toute entière placée sous le signe magique du grand fleuve et de la mer, le marin devient poète.

Il séduit Paul Fort

Dès 1943, il fait paraître une plaquette intitulée Sillages. Il y montre un indéniable talent qui séduit un écrivain assez injustement oublié aujourd'hui, Paul Fort, que ses contemporains et ses admirateurs ont alors sacré "prince des poètes", titre de gloire qui n'appartiendra jamais qu'à lui seul.
C'est bien dans son sillage qu'entend se situer le jeune Robert de la Croix, promu, au lendemain de la guerre qui a ravagé Nantes, rédacteur en chef d'une revue qui porte, elle aussi, un titre inspiré par les vastes espaces marins: Horizons. Certes, il n'y aura guère plus d'une douzaines de numéros, mais on y retrouve de grandes signatures, de Mac Orlan à Julien Gracq, en passant par Supervielle.
Marin et poète, il reste à Robert de la Croix à gagner un vaste public. le journalisme va lui la méthode et le style qui lui permettront un jour de s'affirmer grand écrivain populaire. Il collabore à l'hebdomadaire Carrefour, qui est, effectivement, un lieu de rencontre pour des hommes venus d'horizons très différents.
En 1953, voici maintenant quarante ans, il publie son premier recueil de récits historiques: Les Disparus du Pôle.
Quatre récits, à la fois très documentés et fort bien mis en scène, retracent le destin tragique des navires de Frankin Erebus et Terror, du ballon du suédois Andrée, de l'équipage de l'ancien chalutier russe Sainte-Anne et du dirigeable de l'italien Nobile. L'auteur de ces récits a d'emblée trouvé le ton juste, celui qui fait du lecteur un véritable complice, immédiatement conquis par le ton intrigue, l'atmosphère de ces histoires véridiques.
La grande habileté de Robert de la Croix est de choisir des sujets qui recèlent toujours une part d'ombre inexpliquée. C'est ce qui donne à certains de ses livres maritimes le "suspense" des romans policiers. Ainsi, Mystères de la Mer, Les Disparus du Pacifique, Navires sans retour, Mystères des îles, Vaisseaux sans fantômes et épaves errantes.

Familier des archives

Son désir d'embrasser dans une vaste synthèse les élans des cœurs aventureux le conduit à écrire une Histoire de la Piraterie, une vaste fresque sur les Bretons à la découverte du monde, ainsi qu'une série d'Histoires extraordinaires, consacrée, comme bien entendu, à la mer et à l'exploration.
Familier des archives, il possède incontestablement le don de rendre étrangement vivants les rapports de la mer les plus arides et les plus secs. Il en tire de véritables "sagas", dont les héros redeviennent des êtres de chair et de sang, aux prises avec les pièges et les fureurs d'un océan sans cesse affronté.
Ce tranquille fumeur de pipe, qui apparaît toujours à ses amis au centre d'un nuage à la tenace odeur de tabac, est, au secret de lui-même, un aventurier, compagnon de ces hommes dont il nous raconte inlassablement les traversées, les escales, les affrontements avec les courants et les tempêtes. Il le dira très bien lui-même:"Écrire, c'est continuer à naviguer".
Ses livres sont traduits dans le monde entier. Grâce à lui, le public de langue anglaise, espagnole, portugaise ou même japonaise découvre cet univers maritime qui fait partie intégrante de son patrimoine.
Restituer ainsi l'héritage ancestral des grandes nations maritimes va bien au-delà du simple plaisir du lecteur. c'est une incessante invite à la connaissance des grandes figures de nos peuples des rivages et des ports que nous convie ce breton séduit par tous les récits du légendaire ancestral.
La familiarité de l'Histoire n'est-elle pas une véritable nécessité, en des temps où l'on cherche à évacuer le passé, surtout s'il est héroïque? Dans un pays qui renie trop souvent une vocation maritime, que devrait pourtant imposer la géographie, les livres de Robert de la Croix apparaissent d'une grande salubrité.
Si les bons sentiments y sont de rigueur, il faut bien souligner la qualité proprement littéraire d'une telle œuvre, qui comporte près de vingt volumes et que la mort de l'auteur a tragiquement interrompue en janvier 1987.
Un de ses tout derniers livres est peut-être le meilleur. Il ne s'agit plus cette fois, de courts récits historiques, mais d'un grand panorama critique: Les écrivains de la mer, publié par Christian de Bartillat, dans sa collection "Terroirs de France", l'année qui précéda la mort de l'auteur.
C'est là une remarquable évocation de tous les écrivains qui, un jour ou l'autre, ont cédé à l'envoûtement de la mer. Le premier nom cité apparaît un peu insolite, c'est celui de Rabelais, Robert de la Croix justifie pourtant ce choix: il raconte que le créateur de Pantagruel serait même venu à Saint-Malo pour se documenter auprès du célèbre navigateur Jacques Cartier. C'est là une démarche qui est tout à fait dans la manière de celui qui devrait devenir, quatre siècles plus tard, le narrateur des "grandeurs et servitudes maritimes du monde entier.

Jean Mabire

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